Le Brésil est un pays aux multiples facettes, riche de sa culture, de sa musique, de son football, mais aussi marqué par son histoire politique, sociale et économique. C’est ce que nous fait découvrir Matthias Lehmann dans son roman graphique Chumbo, publié aux éditions Casterman. S’inspirant de sa propre famille, l’auteur nous plonge dans la vie de plusieurs générations de Brésiliens, de 1930 à 2003, à travers les yeux de deux frères que tout oppose : Severino et Ramires.
Un tyran fascisant et ses fils rebelles
L’histoire commence à Belo Horizonte, dans l’est du Brésil, où règne Oswaldo Wallace, un homme d’affaires sans scrupules qui exploite ses ouvriers dans ses mines de manganèse. Il impose à sa femme et à ses enfants une éducation stricte et violente, les empêchant de fréquenter les gens du peuple, comme Iara Rebendoleng, une jeune fille noire dont Severino tombe amoureux. Oswaldo est un fervent partisan du régime autoritaire qui s’installe au Brésil en 1930, après le coup d’État mené par Getúlio Vargas. Il n’hésite pas à dénoncer les syndicalistes et les communistes qui s’opposent à lui. Mais son empire va peu à peu s’effondrer, tandis que ses fils vont prendre des chemins différents. Severino devient un militant révolutionnaire, qui lutte contre la dictature militaire qui s’instaure en 1964. Ramires, au contraire, profite du système et devient un homme d’affaires corrompu et influent.
Une fresque historique et humaine
En suivant le destin des deux frères, on découvre les événements marquants du XXe siècle brésilien, comme la construction de Brasilia, la capitale futuriste imaginée par l’architecte Oscar Niemeyer, l’émergence de la bossa nova, le genre musical qui mêle samba et jazz, la victoire de Pelé et de la sélection nationale à la Coupe du monde de football de 1970, mais aussi les atrocités commises par la dictature militaire, qui réprime dans le sang les mouvements sociaux et les guérillas urbaines. On assiste aussi aux changements économiques et sociaux qui affectent le pays, avec l’essor du capitalisme, l’augmentation des inégalités, la pauvreté endémique, le racisme structurel et la violence quotidienne. Mais on découvre aussi la richesse culturelle et la diversité du peuple brésilien, qui résiste avec créativité et espoir aux difficultés.
Un dessin en noir et blanc saisissant
Matthias Lehmann utilise le noir et blanc pour donner une force expressive à son récit. Il joue avec les contrastes, les ombres et les lumières pour créer des atmosphères variées, tantôt oppressantes, tantôt lumineuses. Il utilise aussi des techniques graphiques différentes selon les époques : le trait est plus réaliste pour les années 1930-1940, plus stylisé pour les années 1950-1960, plus épuré pour les années 1970-1980. Il rend ainsi hommage aux courants artistiques qui ont marqué le Brésil, comme le modernisme ou le tropicalisme. Il insère aussi des éléments fantastiques ou oniriques dans son récit, comme des animaux parlants ou des visions hallucinées. Il crée ainsi un univers original et captivant.
Chumbo est un roman graphique passionnant, qui nous fait découvrir le Brésil sous un angle inédit. C’est à la fois une saga familiale et une chronique historique, qui mêle réalisme et poésie. C’est aussi un hommage à un pays complexe et fascinant, qui ne cesse de nous surprendre.