Derrière les pixels et les paillettes, la critique : Samantha Feitelson repense nos héros de jeunesse

Dans Et si Peach ne voulait pas qu’on la sauve ?, la plume de Samantha Feitelson s’empare de la pop culture pour la passer au crible de l’égalité femmes-hommes. Une initiative ludique et éducative, pour petits et grands.

À quel moment une princesse devient-elle un personnage à part entière ? Pourquoi un garçon qui sauve tout le monde prend-il automatiquement toute la place dans une histoire ? Est-ce que la gentillesse d’une héroïne suffit à justifier son inaction ? Ces questions, Samantha Feitelson les pose frontalement – mais avec une infinie pédagogie – dans Et si Peach ne voulait pas qu’on la sauve ? publié aux éditions Beta Publisher.

Destiné aux enfants à partir de 10 ans (mais tout à fait éclairant pour les adultes), cet ouvrage propose une relecture critique et joyeuse d’une quarantaine de personnages cultes, issus de dessins animés, films et jeux vidéo. Un guide, au format ludique, pour aider à comprendre comment les récits influencent les représentations genrées… et comment en sortir.

Déconstruire sans condamner

De Mario à Elsa, de Batman à Ladybug, chaque figure est analysée à travers une grille simple : un court portrait, une réponse à la question “Est-ce un personnage féministe ?”, une argumentation en cinq points, et deux questions ouvertes pour encourager la discussion. Ce n’est pas un tribunal, mais un espace de réflexion. L’objectif de l’autrice n’est pas de juger la pop culture, mais d’apprendre à la lire autrement.

L’une des forces du livre est de ne jamais caricaturer. Shrek, par exemple, est décrit comme imparfait, mais en progrès. Flynn Rider, de Raiponce, brille par son égoïsme de façade, tandis que Steven Universe, Baymax ou Miles Morales proposent d’autres modèles de masculinités, fondées sur l’écoute, la sensibilité, et la coopération. Quant à Peach, dont le titre reprend le nom, elle se voit comparée dans deux fiches successives : celle des jeux traditionnels où elle est la « princesse en détresse », et celle du film de 2023 où elle devient actrice de l’action. Une évolution révélatrice.

Un féminisme à hauteur d’enfant

Samantha Feitelson, qui écrit également dans la collection À Sexe Égal, ne théorise pas : elle vulgarise. Le ton est clair, bienveillant, drôle. L’intention est limpide : donner aux enfants des outils pour penser par eux-mêmes, sans leur imposer une grille de lecture fermée. Il ne s’agit pas de leur dire quoi aimer, mais de leur proposer de questionner ce qu’ils aiment. Car on peut adorer Harry Potter tout en comprenant que Ron interrompt souvent Hermione ; on peut jouer à Zelda en sachant que Zelda, justement, est longtemps restée muette.

Et surtout, ce guide ouvre un espace où les adultes aussi peuvent apprendre. Feitelson s’adresse à tout le monde : aux enfants, aux parents, aux enseignants, mais aussi à tous ceux qui n’ont jamais vraiment pris le temps de réfléchir à ce que les récits culturels transmettent de manière insidieuse.

Une pop culture en transition

Le succès du livre s’inscrit dans une tendance plus large : celle d’un rééquilibrage des modèles dans la culture populaire. Les grandes franchises commencent à faire évoluer leurs personnages (voir Peach dans Mario, Zelda dans Tears of the Kingdom, ou Mérida dans Rebelle), les scénarios intègrent de plus en plus de personnages féminins actifs et diversifiés, et les discussions autour des représentations s’invitent désormais dans les écoles et les médias.

Mais ce que souligne Et si Peach ne voulait pas qu’on la sauve ?, c’est que le changement n’est pas qu’affaire d’écriture : il est aussi affaire de lecture. Un récit ne devient subversif qu’à partir du moment où on sait l’interroger. Et en cela, le livre de Samantha Feitelson fait œuvre utile.

Un manuel à glisser entre toutes les mains

En mettant la pop culture au service de l’éducation à l’égalité, Samantha Feitelson construit un pont entre le plaisir de lire et l’exercice de penser. Elle le fait sans dogmatisme, avec beaucoup d’humour, et une vraie justesse dans la formulation. L’ouvrage est court, fluide, illustré sobrement, et se lit aussi bien d’une traite qu’au fil des fiches, selon les références de chacun.

Dans une époque où les enfants absorbent des milliers d’images, de récits, de jeux, Et si Peach ne voulait pas qu’on la sauve ? arrive comme un contrepoids salutaire. Un petit livre pour éveiller les esprits, interroger l’évidence… et peut-être, à terme, écrire d’autres histoires.

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