« Un homme sans volonté », de Marc Desaubliaux

Avec son neuvième roman publié aux éditions Des auteurs des livres, Marc Desaubliaux confirmedans Un homme sans volonté une plume aiguisée par des années d’écriture. Il invite le lecteur dans les affres de la vie d’un homme sans la moindre volonté, riche, de bonne famille, trimballé ici et là par les événements de la vie et dont les choix, jamais, ne seront assumés.

Une écriture ciselée

« À mes débuts, j’écrivais du mauvais Proust. », confie Marc Desaubliaux. « Après, il y a eu l’influence de Montherlant, ce n’était pas bon non plus. Mon écriture se veut populaire sans être populiste : ce sont des années de travail. J’ai peaufiné mon écriture et j’arrive à un style qui me convient, qui est le mien. Mon premier livre, par exemple, je le considère comme mauvais (Journal du désespoir, publié en 2010, ndlr). C’était une période de ma vie où je n’allais pas bien du tout. Je n’avais pas de recul, j’étais dans l’immédiateté en permanence et ça, ce n’est pas bon pour l’écriture. Il s’est d’ailleurs passé de nombreuses années entre ce premier livre et le suivant. Il y a eu toute une époque de doutes, de travail, de remise en question, et même d’abandon. Cela a duré dix ans. Je pensais arrêter d’écrire, quand mon éditeur est venu me chercher. »

L’imaginaire, moteur de l’écriture

« Un homme sans volonté, c’est l’histoire d’un homme perdu. » raconte Marc Desaubliaux. « Il y a un peu de moi dedans, même si je ne suis pas Louis, le personnage principal. J’ai trouvé intéressant d’étudier quelqu’un qui n’a pas de boussole dans la vie. Là où je me retrouve avec lui, c’est qu’au fond, il a des parents qui ne lui ont rien appris. Il a une sœur anorexique, ce qui a été mon cas. Toute l’attention a été portée sur elle, et on m’a oublié. J’étais discret et je n’avais pas un caractère à me révolter. C’est un peu ce qui est à l’origine du livre. Mais quand j’écris, je laisse faire mon imagination. Je travaille toujours avec un point de départ et rarement un point d’arrivée. Je n’ai pas de plan, j’ai horreur de ça, car mon inspiration est tuée nette. Et puis je pense que d’avoir un plan me bloque, car cela me rappelle l’école, que j’ai détestée… »

La construction du roman

« J’ai pris un milieu social que je connais bien : c’est le mien. J’ai pris également le modèle d’une famille que je maîtrise d’autant plus, qui est celle de ma mère. Après, j’ai trouvé intéressant d’étudier quelqu’un qui ne sait pas ce qu’il veut et de voir comment il allait évoluer dans la vie. Il est là sans être là, il veut être peintre puis non, il est dans l’errance en permanence. Il se laisse entrainer par les autres, qui décident pour lui. Louis n’a pas d’objectif dans la vie, à la limite il n’en a même pas besoin, il est tellement riche ! Mon point commun avec Louis, c’est que dans ma famille on ne rigolait pas, et on ne voulait surtout pas d’artiste dans la famille. C’était très bien chez les autres et très mal vu chez nous. D’ailleurs, j’ai véritablement commencé à écrire quand mes parents sont morts. Il y a une liberté qui est arrivée. Aujourd’hui, écrire n’est plus une thérapie pour moi, notamment depuis ce dernier livre. Avant, écrire était une souffrance. Depuis quelques mois, écrire devient doucement un plaisir. Quelque chose s’est passé, qui a changé mon rapport à l’écriture. »

Synopsis

« J’ai bien un nom, un corps, mais qu’y a-t-il à l’intérieur ? Des courants contraires m’entraînent dans un sens puis dans un autre. »

Le sous-titre du livre indique : « Quand l’âme est indécise, elle se meurt ». À juste titre, une vie d’errance ne peut que mener vers la perte. « Le fond du personnage, résidant dans cette indécision, est forcément poussé vers la mort. » explique Marc Desaubliaux, que nous avons rencontré lors du salon L’Autre livre, à Paris, en novembre dernier. « Ce sont les événements qui se raccrochent aux branches, pas lui. » C’est un roman sur une vie ratée. Louis Puissonnier-Tavernierest issu de la haute bourgeoisie, très riche, incapable de prendre quelconque décision. Victime de sa paresse et de son inertie, il se laisse mener au gré des événements. On suit ce personnage pendant cinquante ans de sa vie, évoluant dans ce milieu mondain et aisé, assailli par le poids des conventions, honteux quand il ose lâcher du lest et s’aventurer dans une sexualité débridée avec Carole-Anne. Artiste sans le savoir, il se lance dans la peinture, puis laisse tomber. Une vie de souvenirs, que Marc Desaubliaux écrit entre présent et fulgurances du passé, donnant tour à tour voix au narrateur ou au personnage principal, alternant 1ère et 3ème personne. La vie de Louis est menée par « fatras de contradictions […] qu’on finit par accumuler quand on ne sait pas prendre de décisions. » Est-ce que trop de confort empêche l’effort ? Éternel indécis, Louis fuit les décisions, les opportunités, ses émotions, jusqu’à un voyage en URSS qui lui donne un sursaut de courage, qu’il n’aura même pas initié. »

Le poids des conventions

« Un mot manquait chez Les Puissonnier-Tavernier : amour. (…) Outre qu’il sous-entendait quelque chose de sensuel, ce terme était perçu comme un rien ridicule. »

« Dans la famille de Louis, on parle de tout mais pas d’amour ni de sexe, ou même de religion. Cela créé forcément une grande solitude, ce manque d’affection physique avec quelqu’un.  C’est vrai qu’en moi, il y a un manque d’amour permanent, et je ne sais pas à quoi c’est dû. Je ressens cela depuis toujours, mais j’ai appris à vivre avec. Je n’y attache plus beaucoup d’importance. À un moment donné de ma vie, c’était très fort. Maintenant, avec l’âge, on relativise beaucoup de choses. Le fait est que j’ai du mal à croire à la communicabilité entre les êtres. On est chacun enfermés, c’est ce qu’on retrouve souvent chez Stéphane Mallarmé, qui parle souvent de « voir les gens derrière des vitres. Je vis un peu comme ça. J’ai eu une enfance très solitaire, avec peu d’amis. C’est cela qui m’a appris à observer les autres. J’étais très timide en plus. J’ai donc appris à reproduire, et à rêver aussi. Et le rêve, c’est les livres aussi. Et j’ai beaucoup lu. Je vis plutôt bien la solitude, mais seulement quand je peux la choisir, cette solitude. Pour Louis, la souffrance est une façon de vivre. Ça lui donne des bouffées d’oxygène. Il a alors l’impression de vivre. Alors que dans la routine, il ne se passe rien, il s’ennuie. Donc il sort un peu de lui, parce qu’il souffre. Il y a un côté très romantique chez lui, très exalté. »

Du conventionnel aux interdits

« Je me défoule dans le secret des chambres. »

« Ce livre est très proche de moi et en même temps très loin. Par exemple, tous les passages sexuels avec Carole-Anne, où il se laisse complètement aller, où il se libère, où il laisse sortir ce volcan qu’il a gardé au fond de lui-même, ce sont des moments de folie, c’est une soupape de sûreté. Parce qu’on lui a dit toute sa vie : il ne faut pas faire d’histoire, il faut être toujours égal à soi-même, etc. Mais là-dedans, il y a quelqu’un qui vit et qui dit non. Il ne se sent pas à l’aise dans son milieu. C’est un artiste mais au début il ne le sait même pas.

Personnellement je ne suis pas allé jusque-là. Mais il y a quand même beaucoup de moi en lui. J’ai rejeté mon milieu tout en ne le rejetant pas. Il y a des gens qui partent en claquant la porte et ne reviennent jamais, ils vivent leur vie comme ils veulent. Moi, je n’ai jamais fait ça, car ce milieu-là, je le détestais, et je l’aimais aussi. »

« Comme toujours je me laissais porter par la volonté des autres, le temps de me persuader que les choses suivraient leurs cours. »

Tiraillé par les codes de son milieu social, Louis se débat. Il n’aura de cesse de se frotter aux limites, de consommer le sexe de manière brutale, d’expérimenter la création au travers de la peinture sans rien aboutir, de chercher du sens au travers de l’ennui, pour finalement ne trouver que l’implacable errance. Il ne manquera jamais d’envie, mais toujours, de volonté. Il transgressera pour trouver des échappatoires, sans jamais trouver la volonté de mener sa vie.

Le site de l’auteur : https://www.marc-desaubliaux.fr/

Sophie Di Malta