ITW : Marceline ou le monde des autres

Après avoir exploré la grande bourgeoisie parisienne dans “Un homme sans volonté”, Marc Desaubliaux fait un tour en province et embarque ses lecteurs pour la petite ville de Rougemont avec “Marceline ou le monde des autres”. La bonne société, claquemurée derrière ses remparts, résistera-t-elle aux secrets de famille inavouables et aux assauts de l’audacieuse Marceline qui cherche désespérément à quitter la cité des Béguines pour vivre dans le grand monde ?

Dans “Un homme sans volonté”, vous exploriez la bourgeoisie parisienne, dans “Marceline ou le monde des autres”, vous faites un tour du côté de la bonne société provinciale. Ces deux bourgeoisies sont-elles similaires ?

La bourgeoisie parisienne s’est faite essentiellement dans les grandes affaires. Ce sont des gens qui ont pris des risques, qui se sont enrichis et qui se rapprochent très vite de l’aristocratie. Dans la petite ville de Rougemont, ce sont des notables qui occupent des métiers plus simples : notaires, médecins, chefs d’entreprise. La mentalité n’est donc pas la même, elle est plus étroite, car les bonnes familles évoluent dans un monde complètement fermé. Il y a néanmoins beaucoup plus de tendresse et de sentiments chez eux car ce sont des gens qui savent d’où ils viennent. Certains sont des notables depuis très longtemps mais ils ont toujours été au contact du monde simple qui les entoure, celui des paysans et des artisans notamment. C’est là tout le problème. Ils sont issus de ce monde-là et ils ont peur d’y retomber ou de voir ces gens prendre leur place.

Pourquoi avoir choisi d’intituler votre roman “Marceline ou le monde des autres” ?

Et bien parce qu’on a d’un côté Marceline, une jeune fille qui habite la cité des Béguines et qui sort donc d’un monde très marqué, avec des valeurs populaires très fortes : la valeur du travail, la valeur des mains… Et de l’autre, le monde des autres, celui de la vieille ville de Rougemont où se regroupent toutes les grandes familles. Marceline rêve d’y entrer. Au début, c’est un monde qui lui paraît inaccessible et puis par des ruses, elle arrive à ses fins. C’est le choc entre deux mondes qui vivent côte à côte mais qui ne se mélangent jamais.

Pourtant, Marceline n’arrive pas tout de suite, on n’en parle que par touches dans les cent premières pages. Au départ, on a plutôt l’impression de suivre l’histoire de Jean-Patrick Frémy, un grand bourgeois de Rougemont…

Oui, Marceline se laisse désirer mais c’est pour faire monter le suspens. Effectivement, on ne la voit pas trop au début, elle apparaît doucement. C’est à l’image de son propre cheminement : elle arrive à sortir petit à petit la tête de l’eau, jusqu’à retourner tout le jeu à son avantage. En suivant Jean-Patrick Frémy, j’entraîne aussi les lecteurs sur une fausse piste car, comme l’indique le titre, c’est bien Marceline qu’il faut tenir à l’œil. C’est elle qui va dynamiter la tranquillité de Rougemont en infiltrant la bonne société.

On retrouve certaines similitudes entre les riches de Rougemont et les pauvres des Béguines. Des deux côtés on cherche à fuir son milieu comme France ou Marceline, à fuir une vie déjà toute tracée. Des deux côtés on retrouve aussi les mêmes problèmes d’alcool et de violence. Finalement, est-ce que ces deux mondes s’opposent tant que ça ?

Non, je ne pense pas. Le problème c’est que ces deux mondes refusent de l’admettre car pour trouver un terrain d’entente il faudrait renier certaines de leurs certitudes et ils n’y sont pas du tout prêts. Ils sont très solidaires chacun de leur côté et l’entrisme d’un milieu dans l’autre ou inversement, ça passe difficilement. Finalement, des deux côtés, c’est de la paresse intellectuelle, c’est une grande méconnaissance de l’autre. Marceline ne fait pas la différence entre les riches qu’elle voit dans les magazines people et la vie à Rougemont. Pour elle, tous les riches mènent la grande vie et inversement, pour les habitants du centre-ville, tous les habitants des Béguines sont des voyous.

Il y a tout de même une frontière très nette dans votre roman, un vrai fossé culturel, c’est le langage. Est-ce que c’est une barrière infranchissable ?

Le langage est un marqueur social indéniable qui fait souvent perdurer le système de classe. Un jeune des cités qui aurait un fort accent sera souvent automatiquement écarté lors d’un entretien d’embauche. J’ai, certes, appuyé le trait dans ce roman avec le phrasé des Fraisse, mais je l’ai aussi fait par affection. Je trouve que ces gens ont gardé un parler populaire que les autres ont complètement perdu. À Paris, il y avait l’argot mais plus personne ne le parle. Pour moi c’est un monde qui est en train de mourir, c’est dommage.

À la fin du roman, l’équilibre de Rougemont est chahuté. Les Frémy, l’une des plus grandes familles de la ville, se retrouvent liés par le sang aux Fraisse qui viennent de la cité. Les Fraisse quittent leur HLM et finissent par habiter dans une grande maison. Le rempart de classe a-t-il vraiment cédé ?

Pour Jean-Patrick Frémy, oui. Je pense qu’il ira voir les Fraisse régulièrement, c’est une nouvelle famille à laquelle il va s’attacher. Quand il part voir son demi-frère caché, Michel Fraisse, personne ne l’oblige à y aller. C’est pourtant dur pour lui d’accepter que sa mère ait eu un enfant d’un premier mariage, de découvrir tous ces mensonges, ces secrets. Il n’aura pas forcément des relations très suivies mais il les verra de temps en temps. Ça montre que les deux mondes ne sont pas hermétiquement séparés, qu’un rapprochement est possible et je pense qu’il va faire ce qu’il faut pour tirer vers le haut Marceline et sa sœur.

Après avoir sorti coup sur coup ces deux derniers romans, “Un homme sans volonté” et “Marceline ou le monde des autres”, Marc Desaubliaux devrait faire une petite pause dans son travail d’écriture. Il reviendra néanmoins avec un nouveau roman, historique cette fois. Affaire à suivre.

Par Laura

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