Suicide d’une masculinité toxique, un nouveau roman choc paru aux éditions Des auteurs des livres en janvier 2024, nous parle de la vie de Daniel, un homme lancé dans une fuite en avant, en proie à ses démons. Ses histoires de sexe, de drogue et d’argent vont finir par le rattraper. De Miami à Buenos Aires, en passant par Paris c’est l’itinéraire d’un nihiliste outrancier que Marc Sinclair nous dévoile. Rencontre avec l’auteur pour évoquer les différentes facettes de son premier roman.
Pourquoi avez-vous décidé de commencer à écrire et quel message voulez-vous faire passer grâce à ce premier roman ?
Ça a été un long processus de prise de conscience par lequel j’ai réalisé que mon parcours était singulier. Ce que je voudrais dire c’est qu’il y a toujours une possibilité de revenir des bas-fonds et d’aller de l’avant. Mon livre n’est pas seulement dark, on y trouve un certain esprit salvateur, une note d’espoir. On peut s’en sortir mais pas à n’importe quel prix. Je crois qu’il faut un choc, un trauma pour provoquer ce déclic.
Ce roman est-il purement autobiographique ou cherchez-vous à créer une distance avec le personnage de Daniel ?
J’essaie de me renfermer dans le récit et de créer le personnage de Daniel, ce double pas toujours commode. Je tente de me distancier de lui comme je peux, tout en me l’appropriant. On est vraiment sur une ligne de crête, c’est moi et ce n’est pas moi. Je m’efforce d’être le plus honnête possible, même si certains passages sont romancés, notamment en ce qui concerne les trafics de tableaux.
Pour quelles raisons vouez-vous une telle fascination à des auteurs comme le Marquis de Sade ou Nelly Arcan ?
Daniel est happé par l’écriture fleuve de Nelly Arcan et surtout ses propos déjantés. Il fait sienne sa philosophie. Il s’approprie ses mots mais pas pour les bonnes raisons. Il en fait un justificatif à son comportement déréglé. Il comprend ce qu’il veut bien comprendre. Après la tentative de suicide de Claudia, c’est le contraire. Nelly devient son égérie, son éminence grise en ce qui a trait aux pulsions suicidaires. De son premier à son dernier roman, elle traite du suicide avec beaucoup de sérieux. Et, il puise dans cette richesse pour donner un sens à son expérience traumatique. En ce qui concerne le Marquis de Sade, il me fascine. Je le convoque pour comprendre le masculinisme et les dérèglements de la masculinité toxique. Le déterminisme biologique du masculinisme, il est là. Il ne manque pas une virgule, tout est expliqué dans le détail.
Dans la théorie des deux dimensions, il semblerait qu’il soit très difficile aux hommes et aux femmes d’aller contre leur nature mais ne pensez-vous pas que leur identité de genre a été façonnée par la société ?
L’identité de genre peut être façonnée par la société mais selon moi, le sexe masculin est déterminé par le génome. Ce n’est pas une création de l’esprit. L’homme est biologiquement programmé pour aller vers des dérives masculinistes. Mais, bien sûr, il peut se hisser hors de son logiciel animalier. Cette théorie des deux dimensions est vraiment superficielle, ça n’a rien de sérieux. Mais, Daniel tombe dedans et elle revient à plusieurs reprises dans le livre.
Des personnages comme Claudia, Nathalie ou Daphnée font preuve d’une grande force mais se révèlent également très fragiles. Est-ce la vision de la femme que vous souhaitez donner aux lecteurs ?
Je crois que la femme est beaucoup plus nuancée que l’homme. C’est une vision girl power que je veux donner. Il y a cette notion de résilience chez la femme. Comme le dit Nelly Arcan : « Les femmes sont schizoïdes entre elles ». Il y a des rapports de domination, de confrontation entre les femmes. On le voit bien entre Claudia et Nathalie, même si elles ne se rencontrent jamais physiquement.
Daniel est transgressif dans sa sexualité mais aussi dans sa consommation de drogues et ses activités illégales. Qu’est-ce qui explique ses agissements ?
Ça découle de son comportement général, obsessionnel. Il a été traumatisé et il s’engouffre dans une sorte de fuite en avant perpétuelle. Il veut ainsi s’émanciper de ses démons, sans y arriver. Il est conditionné par ça. Ensuite il y a l’effet de dépendance qui l’amène toujours vers des univers propices à la consommation. Il arrive à se cadenasser dans ce genre de lieu.
Lors de son passage à Paris, Daniel s’intéresse au Paris littéraire, un Paris perdu en quelque sorte. Quelle a été l’influence d’Hemingway sur votre œuvre ?
Dans mon livre, les thèmes de l’errance et de la ville sont là. Hemingway ça représente pour moi la Lost Generation avec F. Scott Fitzgerald, Ezra Pound, toute cette époque qui m’a fasciné. Je pense aussi à Sylvia Beach et sa librairie Shakespeare and Company. Mais, l’errance de Daniel se finit toujours mal, il est dans le pathos.
Peut-on voir Daniel comme un personnage totalement nihiliste ? Et vous, quel regard portez-vous sur le monde actuel ?
Tout à fait, le nihilisme est un thème majeur de mon livre. Je trouve que notre monde est de plus en plus nihiliste et je dirais même qu’on s’achemine vers la fin de notre monde et le début d’un nouveau monde. Je le dis d’ailleurs dans l’épilogue : « Nous sommes quelque part les héritiers directs de notre propre civilisation, une civilisation bimillénaire qui est en train de crever sec dans le crac du nihilisme absolu ! Une civilisation qui est en train de laisser la place à une autre, transhumaine, qui saura se donner les moyens d’enfreindre tous les codes génétiques de la sélection naturelle même ». On est peut-être à l’aube de la plus grande révolution technologique et économique de l’histoire humaine. Un peu comme ce que dit Yann LeCun, chercheur en intelligence artificielle pour le groupe Meta, on est à la veille d’un nouveau « siècle des Lumières ». Et peut-être qu’un des points positifs face à cette nouvelle transformation de l’humanité ce sera de réussir à modifier les gênes pour éradiquer le masculinisme !
Pourquoi Daniel est-il si fasciné par les putes ? Pensez-vous que c’est quelque chose de partagé par la majorité de la gent masculine ?
Non, je ne pense pas que cette fascination soit partagée par tous les hommes. Moi, ça ne me fascine pas du tout. Chez Daniel, ça s’explique parce qu’il a été échaudé très jeune et puis il est rentré dans des consommations très tôt. Il est entraîné dans ces milieux-là par son travail de trader. Il a découvert dans cette facilité, dans cet accueil de l’Autre, la seule façon d’atteindre ses fantasmes. Et puis, il a toujours ces sortes de pensées erronées de prendre les prostituées sous son aile, de les aider à s’en sortir. On voit ça souvent chez certains hommes. Ils tombent amoureux et puis ils veulent les aider. C’est le fantasme de la mère nourricière.
En quoi les évènements politiques et économiques décrits servent-ils l’intrigue du livre ?
C’était essentiel pour moi de faire une sorte de critique sociale. Daniel est affecté par son environnement immédiat et c’est important de le démontrer dans mon livre. Par exemple, à Miami c’est vraiment les vases communicants entre la situation de Daniel et celle de cette ville et l’accélération de sa déchéance dans les années 1990-2000. En Argentine, j’ai aussi décrit les endroits avec beaucoup de précision pour parler de l’histoire de Claudia, de sa famille.
Quand on referme le livre, on a le sentiment désagréable que le fait que Daniel ait été violé quand il était jeune, justifie ses agissements vis-à-vis des femmes. Pouvez-vous expliciter votre propos s’il vous plaît ?
Il y a des conséquences dramatiques suite à un viol envers une personne aussi jeune. Ça ne veut pas dire qu’il va devenir violeur mais cet acte-là modifie les comportements, explique des déviances. A l’aune du choc traumatique lié au suicide de Nelly Arcan, il comprend sa vie via cet épisode du viol qui lui revient en mémoire. Il y a aussi un système de vases communicants entre le traumatisme de Claudia et celui de Nelly. Il s’est à peine sorti de l’épisode avec Claudia, qu’il retombe dans le thème du suicide avec Nelly. Ce viol n’est pas une justification mais une explication de trajectoire. Beaucoup de jeunes malmenés comme ça ont eu des parcours similaires.
Que pensez-vous du mouvement #MeToo ?
Il y a cette vision du masculinisme toxique au quotidien. A Miami par exemple, ce n’est pas seulement chez les célébrités que ça existe. Une femme qui rentre dans un hôtel ne s’attend pas forcément à être victime d’un acte d’exhibitionnisme par un Daniel lambda. Elle est choquée par ça. Et puis le lendemain c’est peut-être un barman qui va lui adresser un commentaire salace…Tous ces évènements s’accumulent au cours des années et cela débouche éventuellement sur #MeeToo. Mon livre, c’est un témoignage masculin qui s’inscrit dans ce mouvement. Comme je le dis dans l’épilogue de mon livre, il ne faut pas s’étonner de l’avènement de #MeeToo et de voir le patriarcat vaciller.
Quels sont vos futurs projets littéraires ?
J’ai un projet dans la même veine mais à travers des auteurs connus. Ce sera une sorte de réflexion en m’appuyant sur des écrivains masculinistes, une relecture qui intégrera mes réflexions personnelles. Ce sera peut-être sous forme d’essai.
Propos recueillis par Lauriane Roger-Li